Quels sont
les moyens utilisés par le réalisateur pour
nous faire exister le temps en caméra subjective ?
La durée du plan est déjà significative. Elle
permet à échelle humaine d'accompagner l'émotion d'un
personnage, parfois pendant tout un film : La
femme défendue. Ici la durée des plans nous
montre le temps que le personnage passe avec sa
compagne (Isabelle Carré.) Le réalisateur choisit
de mettre le spectateur à la place de l'amoureux de
l'actrice. Il ne montre d'ailleurs que les scènes ou
le personnage la retrouve et truffe le film d'ellipses
car seuls ces moments là sont importants. Grâce à
la caméra subjective, on peut comprendre comment un
personnage vit le temps à un moment T. Est-ce que le
temps lui paraît trop long pendant l'action? Ou, est-ce
qu'au contraire les minutes ou les secondes ont filé,
à ce moment là, à la vitesse de l'éclair ? Alors
que dans la vie ces notions de durée interviennent,
après coup, de manière rétroactive, ce n'est qu'après
avoir vécu un moment que l'on peut se demander s'il
nous a paru court ou long. Au cinéma, le réalisateur
peut nous donner des impressions immédiates. Pour
cela, il va utiliser les nuances, les décalages.
Quels sont ces décalages ? Si on s'interroge sur le
temps subjectif on s'aperçoit comme Einstein et en
toute humilité que les temps sont relatifs. En effet,
un plan subjectif au ralenti succédant à un plan à
vitesse normale ( 24 images/ seconde) montrera une
certaine perception du temps du personnage et cela
nous renverra à son émotion. Bien entendu, cette émotion
prendra tout son sens à l'intérieur d'un plan,
parce que celui-ci fait partie d'un contexte ( une
histoire, une évolution du personnage dans cette
histoire.) Le ralenti peut, par exemple, être utilisé
pour exprimer que le personnage est déconnecté de
la réalité car il ne vit plus à la vitesse de l'objectivité,
celle des autres, celle de la majorité, celle du
temps objectif admise par le spectateur ( "
temps objectif du cinéma " : 24 images/ seconde.)
Par exemple, au moment d'un coup de foudre, le temps
universel s'arrête et le personnage oublie le monde
extérieur, il ne voit que l'objet de son amour, il
est en dehors du temps, dans une autre réalité,
celle du fantasme ( il ne sait pas s'il est dans un rêve),
il est en suspension au-dessus du temps, car ce qui
lui arrive est plus important que la réalité. On
voit donc bien qu'ici en utilisant le temps, le réalisateur
nous a retranscrit en image les émotions d'un
amoureux au moment du coup de foudre. Un réalisateur
peut aussi bien choisir d'accélérer la vitesse des
images pour éluder une situation vécue par le
personnage afin de nous montrer que celle-ci n'est
pas très importante à ses yeux ou qu'il ne l'a pas
ressenti dans sa durée ( scène d'amour an accéléré
dans Orange mécanique.) Il peut aussi choisir d'accélérer
une succession de plans subjectifs pour montrer la
montée d'un stress chez un personnage. Les plans
accompagnent les battements de son cur et on
comprend mieux ses tensions intérieures. Nous avons
remarqué que pour caractériser l'ennui chez un
personnage, le réalisateur utilisait une perception du temps
"appuyée ", c'est à dire que le temps était
lent et pesant ou ressenti lourdement. Dans la Haine
de Kassovitz, le temps existe concrètement et le réalisateur
nous le rappelle régulièrement pendant tout le film
: " il est telle heure " puis : " il
est telle heure ". Les personnages ressentent
chaque minute car elle est pesante.
Dans Le
Magicien d'Oz de Victor Fleming, Dorothy reçoit un coup sur
la tête qui lui fait perdre connaissance, et elle rêve
.
Son rêve constitue les trois quarts du film, alors
qu'elle n'a dormi que quelques instants seulement, c'est
alors que nous nous sommes aperçus que le réalisateur
avait touché du doigt une notion importante. Le
temps du rêve perçu par la conscience n'est jamais
le même que celui de l'objectivité pendant lequel
nous avons rêvé, et c'est ce que Fleming a
retranscrit.
Ce genre
d'exemple existe aussi dans My Own Private
Idaho où le personnage rêve ; et tous ces rêves
sont au ralenti pour marquer la sensation de plénitude
du personnage au moment de ses absences.
L'utilisation
de la caméra subjective en littérature pourrait être
typiquement le journal intime. Par exemple dans le
journal d'Anne Frank, on assiste à une gestion
subjective du temps. Certains jours, le temps est
passé très vite, d'autres jours très lentement.
En
peinture
comme en sculpture, le temps est le temps de l'instant.
A un instant T, le peintre à ressenti telle
sensation de l'espace et l'a exprimé. C'est d'ailleurs
la même chose en photographie.
Au théâtre, la subjectivité du
personnage peut être retranscrite dans la mise en scène
par des jeux de lumière donnant des effets de
ralenti ou d'accélération de l'action. Il va de soi
qu'un dialogue est toujours subjectif et que se sera
ce qui se passe sur scène qui fera ressentir la
perception du temps du personnage dans telle ou telle
situation.
Nous avons donc vu que, le temps, à
travers la caméra subjective, était davantage un
regard ou un discours du réalisateur, qui maîtrisait
les sensations des personnages et plus ou moins
celles du spectateur, qu'une réelle perception
temporelle du personnage. Le temps vécu n'est pas un
temps suggéré, mais un temps imposé. Peut-on dire
finalement que nous comprenons mieux une situation
lorsqu'on en est l'acteur ? Il nous semble qu'une
situation ne peut être gérée intelligemment que si
on prend du recul par à elle.