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Il nous a été difficile d'envisager la
caméra subjective sans penser à la question du "
temps ". Que devient cette question quand on est,
justement, en caméra subjective? Et quel rôle joue-t-elle
à travers ce concept ? Nous analyserons cette deuxième
notion à partir des moyens utilisés par le réalisateur
pour nous faire exister ce " temps ". A - Ce
que devient le temps à travers la caméra subjective
Dans un tel
contexte,
lorsque nous parlons du " temps ", nous ne
parlons pas seulement de la durée du plan, mais
surtout et intrinsèquement de la notion de "
temps de la conscience " ou de " temps vécu
"; c'est à dire celui de la conscience qui vit
l'action du plan et qui est incarnée par la caméra.
En caméra subjective, aux notions de " temps
" se rattachent les notions suivantes: simultanéité,
ordre de succession de deux instants, durée de l'action
qui les sépare, notion dont la vie courante donne l'intuition.
C'est alors que la durée du plan devient la durée
de l'action ressentie par le personnage. En effet,
pendant le plan subjectif, c'est lui qui nous impose
sa perception du temps, mais nous reviendrons à
cette notion plus loin.. La " temporalité
", qui par définition est le temps vécu par la
conscience, inclut, nous l'avons vu plus haut, une
notion de durée ; mais surtout des notions de
sensibilité, d'émotion et de raisonnement de la
conscience en présence; et si on part du principe,
selon Kant, que l'espace et le temps ( sous entendu
objectif, universel, celui de la montre) sont des
formes de la sensibilité, et que c'est justement
cette sensibilité qui rend possible la représentation
des choses non comme elles sont en elles-mêmes, mais
comme phénomènes: Les choses telles qu'elles sont
en soi ne sauraient, comme telles, être pour nous,
et si nous devons bien les penser comme fondement des
représentations que nous en avons, c'est uniquement
ces dernières que nous pouvons déterminer comme
objet de notre connaissance, alors c'est la
subjectivité de ces formes de la sensibilité que
sont l'espace et le temps qui en garantit la réalité
objective. Par conséquent, dans quelle mesure la
notion de temps en caméra subjective ou de temps
subjectif serait-elle différente de la notion de
"temps universel ou objectif ? Et dans quelle
mesure peut-on affirmer qu'il existe un " temps
objectif " alors qu'il est toujours la
perception d'une conscience dans sa durée ?
Contrairement au temps objectif ou celui de la montre,
le temps de la conscience existe en fonction de critères
du passé ( souvenirs, bagage socioculturel, acquis),
de critères du présent (qui somme et interprète ce
qui fut actuel et ne l'est plus) et de critères du
futur qui est fait de projections, c'est à dire de
projets, de possibilités nouvelles (mais c'est
encore le présent qui anticipe l'avenir, en fonction
de ses souvenirs et de ses prises. En outre, la
temporalité comporte un élément dramatique qui est
indispensable au cinéma, elle vit une menace, celle
de l'instant ultime, qui sera la fin, la caducité du
projet. Le temps vécu est donc un temps psychique,
il est la représentation de phénomènes, non tels
qu'ils sont mais comme représentation que nous en
avons. En effet, deux individualités vivront
exactement la même situation en percevant le temps
de façon différente. Ces nuances pourront être
retracées par la caméra subjective à l'aide de
procédés divers de montage et de changements de
vitesse des images ( accélérés, ralentis, flash-backs
(qui nous ramènent dans le passé), ou encore des
pertes de consciences ou de décrochages de la réalité
qui nous emmènent dans des temps parallèles comme
les temps du fantasme, du rêve etc...)
Cette
notion
nous rappelle d'autre part que le temps d'un plan est
toujours imposé de façon subjective par le réalisateur.
Ce temps de l'action du plan passera ensuite par la
subjectivité du personnage, et sera enfin digérée
par le spectateur. Toutes ces couches de subjectivités
du temps superposées resserrent de plus en plus le
champ de l'imagination. En effet, le spectateur ne
peut pas fantasmer sur la manière dont le personnage
vit la situation. Dans le film " Dans la peau de
John Malkowitch ", la subjectivité est poussée
à son paroxysme car les protagonistes rentrent dans
le corps de l'acteur. A ce moment là, le réalisateur
nous fait voir et entendre puis ressentir ce que
ressens le protagoniste à travers les yeux d'une
tiers personne. Il y a donc, ici, une double
subjectivité, mais c'est seulement celle du
protagoniste que l'on perçoit. Le temps, à travers
la caméra subjective est donc, dans une certaine
mesure, encore plus directif que n'importe quel plan
"objectif " ou plutôt extérieur au
personnage(car on peut se demander si un plan n'est
pas toujours le résultat d'une subjectivité, celle
du réalisateur), car il impose le temps de l'action
et celui du personnage en superposition.
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