Corps collectif Temps - B - Le rôle du temps en caméra subjective   vision générale   B - Un corps collectif
 
A - Autoportrait et subjectivité

Qu'y a-t-il derrière le regard de Rembrandt aux yeux hagards (1630) ? Sous l'emprise de quelle émotion le jeune homme se retourne-t-il avec tant de brusquerie ? Effarement comique ? Désarroi interrogatif ? Horreur panique ? Qu'expriment les corps de l'Etude pour autoportait (1985-86) de Bacon ?
Le spectateur expérimente ce que les études de physiognomonie et celles sur le jeu des acteurs ont mis en lumière : isolée ou soustraite de tout contexte, l'expression humaine des autoportraits ne peut se réduire à aucune définition.
Le fait pour le peintre de trouver en lui-même un modèle est une projection directe de soi-même vers le spectateur. L'autoportrait nous révèle le peintre plus directement que le portrait qui passe par la représentation d'autrui. L'autoportrait entretient une relation directe avec le peintre. Le rapport à l'œuvre est plus spontané et plus profond. Il nous confronte directement au peintre. Il nous permet au même titre que la caméra subjective de faire corps à la représentation. De même que le caméra subjective qui opère une fusion des regards (regard du cinéaste-caméra avec celui du personnage, regard du spectateur avec celui du personnage, donc du cinéaste), l'autoportrait instaure une intimité par le regard.

La portée de l'exploration anxieuse de Rembrandt, ce dont témoigne le poids des regards tournés vers le spectateur, revêt une signification universelle. Cette démarche peut être rapprochée de celle de Montaigne qui fait de lui-même la matière de son livre ("Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition ", Les Essais) ; pour Rembrandt aussi, se connaître semble avoir été l'indispensable condition de la connaissance d'autrui.

Cependant, l'autoportrait serait-il l'aveu d'un échec ? Echec à n'avoir pu représenter quelque chose de supérieur et de plus beau que par sa propre image ? Ou y a-t-il alors quelque chose de supérieur derrière le regard représenté ? Il faut noter que si l'autoportrait peint comporte une irréalité du fait de l'inversion produite par l'image réfléchie que regarde le peintre pour travailler, l'impression d'un autoportrait gravé, miroir du miroir, restitue au graveur le visage qu'il offre aux autres.
L'autoportrait contient un regard qui attend d'être vu et regardé. Le regard du sujet attend un regard retour de la part du spectateur, regard qui prend un poids particulier du fait même de la réalité du corps et du regard représentés puisque ce sont ceux du peintre ; ce regard peint ne prend son sens que lorsqu'un regard lui est rendu. Le corps représenté prendrait vie par le regard du spectateur et s'organiserait par sa présence. Au-delà du regard du spectateur, un corps dés-organisé, ou corps sans organe, prendrait vie par la fusion des regards du peintre-graveur qui se voit se voyant, et du spectateur qui peut voir son miroitement éphémère. Ce corps sans organe a besoin du regard du spectateur pour se ré-organiser et prendre vie.

Le spectateur seul peut combler par le regard l'énigme de l'autoportrait, et par là même répondre à sa propre énigme en tant qu'individu par la rencontre avec le regard du peintre.

Nous verrons en quoi l'autoportrait est, du point de vue du sens et de l'apport, ce qui se rapproche le plus de la caméra subjective.

 

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