Dans le
montage,
il existe plusieurs procédés permettant un enchaînement
logique de l'action et dans notre cas permettant d'étudier
le thème de la caméra subjective.
Tout d'abord, la technique du " changement d'axe
" appelée encore la " règle des 180 degrés
" faisant intervenir le champ /contre-champ peut
être utilisée pour montrer la vision du personnage
mais aussi la manière dont le personnage voit : Avec
un plan en contre-champ avec le personnage en amorce,
on peut parfaitement rentrer dans la subjectivité de
celui-ci avant ou après un plan en " champ
" avec ce même personnage vu de face : C'est le
cas de notre tournage où l'on pénètre aisément
dans la conscience de Jérémy en substituant au plan
" champ " (Jérémy vu de face) le plan en
contre-champ (amorce de Jérémy droite cadre avec un
flou sur les personnages en face de lui). On a
vraiment l'impression de vivre dans le monde "
parallèle "dans lequel se retrouve Jérémy,
perdu et isolé dans ses pensées.
Ensuite, le " montage alterné
" (on filme deux actions se déroulant simultanément)
n'est pas sans messages : outre le fait de donner un
rythme à la séquence impliquée, cette technique de
montage permet de créer une tension dans celle-ci :
on pénètre alors dans une instabilité entre deux
situations. En référence à notre tournage, l'utilisation
d'un montage alterné a permis de faire facilement
ressentir le stress de Jérémy au spectateur de la
scène ; en outre, les plans se succèdent de plus en
plus rapidement jusqu'à ce qu'ils se confondent :
une telle hachure des plans ne peut qu'exciter l'il
du spectateur et donc lui faire inévitablement
partager ce malaise. Cette succession rapidement
croissante des plans assure une convergence entre le
personnage et le spectateur vers un paroxysme de
leurs émotions.
De plus, la subjectivité du
personnage peut être traduite par un " raccord
de regard " : dans un premier plan, le
personnage dirige son regard vers une certaine
direction ; au plan suivant, on aperçoit ce qu'il
voit. Notre tournage fait en effet référence à ce
raccord dans la mesure où l'on ressent le stress de
Jérémy lorsqu'il détourne son regard vers une
fille se frottant les joues à l'aide de ses mains. Jérémy
est en quelque sorte notre guide : c'est le médiateur
entre le spectateur et le monde fictif dans lequel il
se trouve.
Mais il
est également
possible à l'aide du montage de maîtriser l'espace
et le temps : ainsi, le temps peut être ressenti
différemment par le personnage, soit long, soit
court ; l'emploi du ralenti, par exemple donnera la
sensation que l'action met longtemps à se dérouler
alors que l'accélération des images raccourcira
cette même action dans le temps. Ici, on fait référence
au temps psychique " modulable " selon la
situation embarrassante ou impatiente du personnage.
En faisant référence au temps, on peut citer le
" flash-back " que l'on utilise pour
replonger le spectateur dans le cur des
souvenirs du personnage : le temps apparaît alors
comme suspendu et ce, sans que le spectateur ne
puisse y remédier. Il est comme le prisonnier des
pensées du personnage, il se retrouve alors dans la
subjectivité de celui-ci puisqu'il voit les scènes
qu'a vécu le personnage de ses propres yeux. De la même
manière, le " flash-forward " projette
cette fois-ci le spectateur et le personnage dans l'avenir.
A la notion de temps psychique s'ajoute également
dans le montage la notion " d'ellipse temporelle
" : le temps " direct " est distordu
dans la mesure où l'on passe rapidement d'un moment
à l'autre, d'un jour à l'autre voire d'une année
à l'autre, etc
On associe souvent à l'ellipse
la technique du fondu ( l'image s'obscurcit de plus
en plus jusqu'au noir total, marquant ainsi la
transition entre deux " blocs-temps ")
En ce qui concerne l'espace, il peut être tout aussi
modulable selon la vision qu'a le personnage de son
entourage. Ainsi, lorsqu'il aura par exemple un
sentiment d'infériorité par rapport à un
adversaire, ce dernier sera perçu en contre-plongée
et recouvrira tout le cadre pour montrer toute l'importance
qu'il prend à ses yeux. Le choix du cadre au montage
est donc indispensable pour transmettre à tout
moment désiré au spectateur la subjectivité d'un
personnage.
Finalement, il faut préciser que les
sons et la musique participent non négligemment à
la caméra subjective : tout d'abord, il est possible
d'exagérer le son d'un objet afin de décupler son
importance dans une scène. C'est ce que Michel Chion
appelle le phénomène de synchrèse. On peut citer
ici les westerns où les scènes d'attaque ; le
spectateur se rend mieux compte de la scène, comme s'il
y était !C'est également le cas des films sur les
sports ou disciplines violentes tels la boxe (avec la
série des Rocky où les bruits de coups de poing
sont volontairement exagérés pour donner un ton
plus dramatique à la scène) et les arts martiaux (avec
Bruce Lee ou Jacky Chan où les coups sont accompagnés
de bruits de déplacement d'air). Ensuite, une scène
peut tout à fait prendre un caractère spécial, par
l'utilisation du volume sonore : en référence à
notre tournage, la montée du stress de Jérémy en
supplément des plans se succédant de plus en plus
vite a été traitée par une montée en crescendo du
son d'une bouche d'aération habituellement anodin.
Cette montée crée chez le spectateur un malaise,
comme s'il vivait là encore le stress du personnage.
En outre, en mixant des sons, le spectateur pénètre
dans la subjectivité du personnage : dans notre séquence
où Jérémy débute son monologue, on entend des
sons étranges, inqualifiables : ce ne sont que les
sons provenant de l'ambiance de la salle où se
trouve le personnage mais remixés de manière à
traduire le monde parallèle dans lequel il erre. A
ce moment, il est totalement séparé des autres. En
ce qui concerne la musique proprement dite, on peut
dire qu'elle donne la tonalité et le rythme de la scène
: une musique langoureuse caractérisée par des
cordes (violons) sera utilisée pour accompagner une
scène amoureuse alors qu'une musique rapide et scandée,
composée de percussions, d'instruments tels le
vibraphone, le pizzicato traduira une scène d'action.
Ainsi, le montage dans un film
peut être considéré comme l'aboutissement final de
celui-ci. En effet, il permet de mettre en valeur la
notion de caméra subjective par l'intermédiaire des
techniques énoncées plus haut. Avec le montage, l'utilisation
de la caméra subjective fait fusionner le personnage
et le spectateur où ce dernier pénètre inévitablement
dans la conscience du personnage.